Writing (In Progress)

Voici un extrait de ma Novella inédite ''Invisible Kid''  . 


Aussi loin que remontaient les souvenirs d’Issour, il avait toujours été seul. Souvent entouré de gens oui, mais toujours isolé. D'ailleurs, c’était généralement lorsqu’il était au beau milieu de ses ‘’congénères’’ que son sentiment d’isolement se faisait le plus ressentir : Issour n’était pas particulièrement fan des bains de foule, ça tout le monde le savait.

Parfois il se demandait –plus ou moins sérieusement- s’il ferait un bon sujet de psychanalyse. Une façon de vendre son corps à la science (mais pas dans le sens commun du terme) et un moyen comme un autre de se faire un peu d’argent de poche !

Sauf qu’il abandonnait vite cette idée, car il était à peu près sûr qu’il aurait droit au rapport type destiné à tous les Issours de la terre et qui couraient les rues.

Mesdames et Messieurs, honorables confrères, observons maintenant dans la cage B-6 le spécimen type du jeune collégien mâle entre 12 et 16 ans. Observez son poil brillant, son œil vif et sa dentition parfaite ! Ce spécimen offre bien entendu toutes les caractéristiques connues de sa race : fils unique ou cadet de famille, il présente une tendance récurrente à la déprime aiguë, aux questionnements philosophico-cosmiques et à la pleurnicherie tout azimut qui cache en réalité un nombrilisme caractérisé bien qu’au stade embryonnaire. Pour finir, n’oublions pas de signaler une acné en phase terminale, mais cela ne nous intéresse point. À moins qu’il y ait des dermatologues dans la salle ?

Rires et applaudissements.

* * *

En fait, et pour aussi humoristique qu’il soit, le rapport de Monsieur le Psychanalyste pourrait être aussi très proche de la réalité. Mis à part sur quelques points.

Pour commencer, il n’était ni fils unique ni cadet.

Enfin, pas tout le temps.

Pendant une décennie, les parents d’Issour avaient rigoureusement respecté la tradition incongrue de concevoir un enfant tous les deux ans. Le premier à ouvrir le bal fut Piotr, suivi deux ans après par Vassili et enfin Laszlo deux ans plus tard. En toute logique, Issour aurait dû venir au monde vingt-quatre mois plus tard, mais il n’en fut rien.

Pour des raisons inconnues de lui, il mit six ans à être livré. Si bien qu’il se considérait parfois comme un accident. Pourquoi avoir commandé un autre môme si ses parents avaient décidé que trois, c’était plus que suffisant pour assurer la descendance de la famille ? Si son père avait été un buveur invétéré, Issour aurait pu croire qu’il était le fruit d’une bourde un soir de fiesta trop arrosée. Mais tel n’étant pas le cas –son père n’étant ni buveur ni vraiment de tempérament festif- le mystère de sa venue au monde demeura entier.

Malgré (ou à cause) de son statut particulier de p’tit dernier, Issour devint vite la coqueluche de toute la famille, recevant toutes les attentions et tous les égards. Même à trois ans, il était conscient des yeux qui le couvaient en permanence, de la multitude de visages qui lui faisaient toutes sortes de grimaces et des nombreuses mains qui le chatouillaient un peu partout sur le corps. Et même à trois ans, il était loin de trouver ça désagréable.

C’est seulement lorsqu’il commença à s’y habituer que le véritable accident arriva trois ans plus tard. Un accident de trois kilos et demi, tout rose et particulièrement braillard auquel on donna le prénom de Katarina.

* * *

Une fille ! Une première historique dans l’histoire de la famille : Une révolution !

Comme le lui expliqua Laszlo un soir où il se sentait d’humeur bavarde, leurs parents avaient toujours voulu avoir une fille. Cela expliquait en partie le rythme effréné de mises à bas chez la famille Danielovitch et aussi, pourquoi même leur père était sorti de sa légendaire réserve pour montrer sa joie et son contentement à l’arrivée de la petite dernière -fait assez rare pour être mentionné.

Ainsi donc, d’un seul coup tous les petits câlins, tous les Guili-Guili-Guili et tous les Smack-Smack-Smack se portèrent vers la nouvelle arrivée : Katarina Danielovitch.

Là aussi Monsieur le Psychanalyste pourrait pointer ce fait du doigt et partirait d’un A-HA triomphant. Il expliquerait du ton de je-vous-l’avais-bien-dit que le petit Issour se sentant délaissé et privé de tout l’amour dont il jouissait, aurait en tout état de cause, amorcé une phase de repli sur soi et de déni du monde réel rejetant la faute sur sa famille en général et sur sa petite sœur en particulier. Et patati et patata…

Seulement voilà, la vérité était que le premier à être content de la venue de Katarina c’était bel et bien Issour. D’abord curieux, observant ce petit être aux yeux noisette immenses et qui sentait presque toujours mauvais, il ne put s’empêcher de craquer

complètement pour ce koala attendrissant –Koala étant le surnom qu’il lui donna et dont il l’affublait encore à ce jour.

Bien entendu, au début il feignit l’indifférence à son égard, jouant la carte du macho bourru comme tout grand frère qui se respecte et se plaignant de l’avoir en permanence sur le dos (car elle l’était, oh oui !). Mais il ne dupait personne à commencer par sa petite sœur elle-même qui continuait de s’accrocher à lui et de le suivre dans ses allées et venues et ses moindres faits et gestes, au grand amusement du reste de la famille. Aussi, abandonna-t-il vite fait le rôle du frangin revêche pour lui donner sans réserve toute son affection.

Ils devinrent vite inséparables, de vrais larrons en foire faisant les quatre cents coups ensemble et mettant très souvent à rude épreuve la patience de ses parents et frères. Cette complicité n’avait somme toute rien d’étrange si l’on tenait compte du fait qu’ils étaient les plus proches dans la tranche d’âge, bien loin du gouffre qui les séparait avec leurs ainés –qu’ils appelaient avec un sourire narquois les autres. Bien sûr il leur arrivait régulièrement de se chamailler, et pas qu’un peu, mais la violence de leurs querelles n’avait d’égal que la rapidité avec laquelle ils retombaient dans les bras l’un de l’autre.

Pour Issour donc, Katarina était devenue avec le temps sa complice et sa meilleure amie. Et voilà pourquoi il pouvait dire en toute confiance à Monsieur le Psychanalyste de foutre son rapport là où il le pensait. La famille n’avait strictement rien à voir là-dedans et surtout pas son petit koala adoré. La raison de son isolement il la connaissait et elle résidait bien ailleurs.

Cette raison, elle était d’ordre… médical.

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